CYB
Venise ou le réel retrouvé
Comment expliquer que cette ville, cette Idée de beauté, puisse manquer au point d’extraire un peintre de sa démarche abstraite ?
Etre convoqué à la réalité par une telle merveille, par cette ville rêvée des mille et un artistes, par cette fière et fragile tentative des hommes de rejoindre le ciel, est l’expérience d’un rapt et d’un délice, d’une limite franchie qui ouvre un inconnu frémissant d’espérance.
Voilà donc Venise, éternelle patrie de la jeunesse et de l’avenir. Le temps s’y dilate, le rythme du flot en vient briser la structure ordinaire, le déséquilibre des éléments suscite un rapport baroque à la temporalité.
Voici donc Venise, orientale autant que tropicale, archaïque et animalière autant qu’érudite et raffinée.
Si l’essence de la peinture est l’abstraction au sens du style, de l’aménagement singulier de ses moyens propres, couleur, figure, matière, la vocation de la peinture est d’exprimer. Alors l’amour et le manque d’un lieu, d’une ville, d’un être, le manque même de la réalité peuvent se découvrir au cœur du geste pictural.
Mais la réalité n’est-elle pas par essence manquante, en tant qu’elle est cette expérience singulière d’une perception mêlée de souvenir ? Pour rendre visible cette réalité, il faut l’œuvre, celle de l’écrivain, ou du peintre.
La Venise que je peins, est une Venise singulière, elle a les couleurs des Tropiques, leur intensité, la simplification du trait abstrait d’un oeil de peintre, le caractère sauvage d’un enfant qui a toujours connu la mer, et qui a toujours rêvé de peinture.
Venise est un chœur d’uniques, qui provoque la mémoire, aiguise l’imagination. Elle est l’avenir du temps, elle ne cesse de rappeler avec tant de détours et de sortilèges, tant de constance et de miroitements, que le réel n’est pas, et qu’il sera notre œuvre.
CYB
Octobre 2010